19 oct. 2010

Amour, fidélité et Polyamory Weekly

Ce texte vient du podcast Love, Commitement, and Polyamory Weekly de David Jay, sorti en juillet 2006. Je l'ai transcrit, adapté et traduit. David passe des extraits d'un autre podcast, qui sont indiqués en bleu.


J'ai reçu un MP (Message Privé, pour ceux d'entre vous qui ne sont pas sur asexuality.org) sur le forum, et voici ce qu'il disait, en réponse aux Confessions d'un asexuel dévergondé de la semaine dernière :
Je viens d'écouter le deuxième podcast, je l'ai trouvé très intéressant et il m'a vraiment touché dans mes problèmes/inquiétudes avec le fait de se reconnaître dans l'asexualité. Je crois que je refusais de me ranger dans une catégorie et que je gardais espoir que l'attraction sexuelle m'arriverait un jour (improbable vu que j'ai 23 ans), parce que je voulais avoir des relations comme celles dont profitent mes amis sexuels, simplement sans la composante sexuelle. Vous savez, cette personne à laquelle on tient plus qu'à toutes les autres. D'après ce que j'ai compris, tu ne penses pas que ce soit nécessaire voire même possible d'avoir une relation amoureuse asexuelle. Dis-moi si j'interprète mal ce que tu as dit.

Je voulais aussi te faire part d'une observation intéressante que j'ai faite en regardant mes amis et moi quand on sortait. Si on va en boîte par exemple et qu'on a un peu trop bu, la plupart de mes copains se retrouveront au bout d'un moment (ou voudront se retrouver) collés à quelqu'un sur la piste de danse et rentreront avec la personne. Moi par contre je me retrouve à discuter avec de parfaits inconnus avec lesquels j'ai les conversation philosophiques les plus bizarres. Marrant, hein ?

Voilà ce que je lui ai répondu : Je n'irais pas jusqu'à dire que les relations amoureuses sérieuses sont impossible pour les asexuels, puisqu'un certain nombre d'entre nous semblent avoir exactement ça. Mais je pense vraiment qu'on est obligé de réfléchir à la notion de fidélité d'une façon dont les gens sexuels n'ont pas besoin. Il y a beaucoup à admirer dans l'intimité de couple, mais c'est loin d'être la seule façon d'obtenir ce que l'on veut, les conversations décrites dans le message en étant un excellent exemple. Ces conversations pour toi et les flirts pour tes amis ont peut-être la même fonction : les deux vous donnent un prétexte pour rencontrer des gens, profiter du moment où on apprend à se connaître et enfin se montrer vulnérable et passer du temps à s'explorer mutuellement.

C'est un des sujets que je voudrais aborder dans ce podcast : comment créer de l'engagement et une structure dans une relation non sexuelle. Je l'ai déjà mentionné et j'en parlerai encore beaucoup dans le futur, mais un des repères les plus importants du monde sexuel est le fait que les relations qui incluent le sexe sont des Relations avec un grand R. Elles impliquent la fidélité et beaucoup d'autres choses que toutes les autres relations n'ont pas.
Dans le monde asexuel, beaucoup d'entre nous ont des partenaires et beaucoup forment quand même des relations intimes très proches, mais la distinction entre les relations qui incluent le sexe et les autres n'existe pas. Il y a des moyens de la remplacer, qui permettent de savoir qui est votre partenaire, mais le fait qu'il faille ré-examiner cette distinction et réfléchir à comment catégoriser ses relations, je crois que ça nous fait penser (du moins moi et d'autres asexuels) de façon moins traditionnelle à quelles sont les relations importantes dans notre vie et comment les désigner. Et je trouve que cette idée coïncide très bien avec les idées de la communauté polyamoureuse actuelle.

Pour ceux qui ne le savent pas, le polyamour est le fait d'avoir plus d'une relation (souvent sexuelle mais pas toujours) en même temps. On appelle aussi ça la "non monogamie responsable". La différence c'est que si vous avez un partenaire et que vous commencez une autre relation intime, éventuellement sexuelle, dans le dos du premier et que vous n'en parlez pas, vous trompez votre partenaire. A l'inverse, si vous avez un partenaire et que vous lui dites "Notre relation compte énormément pour moi, je t'aime vraiment, mais je voudrais aussi pouvoir explorer mon amour pour d'autres gens", si votre partenaire est d'accord et que vous décidez de communiquer là-dessus d'une façon qui vous convienne à tous les deux, si vous communiquez aussi ouvertement avec votre deuxième partenaire, bref, si vous communiquez pendant 80 heures par semaine, c'est ce qu'on appelle le polyamour.

Là où je vois un rapport, c'est dans le fait que les polyamoureux, comme un certain nombre d'asexuels, sont obligés de réfléchir à la notion de fidélité, à quel type de relation est important pour eux et pourquoi, de façon bien plus profonde que le classique "Je vais trouver quelqu'un, on va coucher ensemble, ensuite on va sortir ensemble, ensuite on va se marier, ensuite on va fonder une famille, et ce sera l'entièreté de ma vie affective et intime."
Et donc, à cause de ces parallèles entre (la façon dont moi et d'autres voyons) les relations asexuelles et le polyamour, j'ai commencé à écouter le podcast Polyamory Weekly, que je recommande à tout le monde. Chaque épisode est même terminé par la phrase "N'oubliez pas, il n'y a pas que le sexe dans la vie" ! Après avoir écouté quelques épisodes du podcast, j'ai envoyé un mail à Minx (la personne qui fait Poly Weekly) pour lui présenter mon podcast et évoquer les parallèles entre les façons de penser les relations des asexuels et des polyamoureux. Elle a trouvé ça vraiment intéressant et a eu toute une discussion sur le sujet avec son partenaire et des invités du podcast. Je vais vous en montrer des extraits et les commenter.

[Minx] J'ai reçu un email particulièrement intéressant de David, voici ce qu'il dit :

Je m'appelle David, je suis le fondateur du site www.asexuality.org. J'écoute depuis peu Poly Weekly et je suis fan. Même si seulement une toute petite partie de la communauté asexuelle se considère poly (autant que je sache), beaucoup d'entre nous empruntent pas mal aux façons de voir les relations polys. Après tout, c'est un peu difficile d'être sexuellement exclusif quand le sexe ne fait pas partie de l'histoire.

Ça me laisse pensive, parce qu'il y a un moment, GrayDancer et moi avons entendu ensemble Susie Bright parler des amibes, des gens qui se considèrent asexuels. Je veux dire, bien sûr qu'il y a beaucoup plus dans les relations amoureuses que le sexe, et qu'il y a plein de moyens d'être intime sur le plan émotionnel avec quelqu'un sans relations sexuelles, mais a priori on dirait qu'il faudrait une nouvelle façon de voir les relations, une autre façon d'y réfléchir ...

Je vais couper de temps en temps pour commenter. J'ai énormément de respect pour Minx, je pense qu'on a tous beaucoup à apprendre d'elle, mais je voudrais juste faire remarquer ça. Est-ce que d'autres ont remarqué que quand on explique qu'on est asexuel à quelqu'un qui ne l'est pas pour la première fois, la personne a besoin d'affirmer qu'elle aime le sexe ? Et que, même si c'est quelqu'un qui parle tout le temps de sexe et est complètement à l'aise avec le sujet, elle devient tout d'un coup un peu mal à l'aise ?

[Minx] Pour GrayDancer et moi, le sexe et le BDSM sont des moyens d'exprimer l'intimité émotionnelle, mais ce ne sont pas les seuls. Donc pour moi ils sont entremêlés, mais j'imagine comment on peut avoir l'un sans l'autre pour certaines personnes. Je ne sais pas, ça me laisse pensive. Qu'est-ce que vous en pensez ?

[Karen] Je crois que j'ai du mal avec le concept parce que je me demande où est la ligne qui définit une relation dans ce cas. Je repense à un article de Loving More qui parlait de si on pouvait avoir une relation amoureuse sans sexe, de est-ce que ce serait une relation, à quoi ça ressemblerait, et comment est-ce qu'on définit une relation amoureuse avec quelqu'un ...

Wouaou ! Qu'est-ce qui fait qu'une relation est une relation ? C'est une question vraiment sexuelle. Je trouve, et je sais que beaucoup d'autres asexuels seront d'accord, qu'il y a beaucoup de parallélismes.

[Minx] Oui et ça me rappelle quelque chose. J'ai déjà mentionné que j'avais une amie fiancée dont le fiancé passait beaucoup de temps avec sa meilleure amie, et qui au final s'est enfuit avec sa meilleure amie pour l'épouser et la tromper ensuite. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'à l'époque le fiancé et la meilleure amie ne couchaient pas ensemble, leur relation n'était pas sexuelle. Il y a peut-être eu quelques caresses un peu déplacées lorsqu'ils étaient assis côte-à-côte, mais vraiment pas de sexe à proprement parler, et pourtant ça a été une incroyable trahison sur le plan émotionnel pour mon amie. Et je le comprends très bien. C'était leur intimité émotionnelle qui était accablante, même s'ils n'avaient jamais couché ensemble.

Ça c'est intéressant ! Toutes les fois où j'ai été dans une relation avec une personne disons sexuelle et monogame et que j'ai parlé d'intimité non sexuelle, l'autre personne répondait en reconnaissant que les relations amoureuses sont plus que juste du sexe, qu'on peut avoir des relations d'amitié très importantes, bref, vous connaissez le refrain. Quand vous avez un groupe de polyamoureux ensemble, qui je suppose ont plus de capacités à réfléchir aux relations de façon abstraite, le sujet de l'intimité non sexuelle amène directement celui de l'adultère ! [Rires] Dans ce cas, les asexuels deviennent une bande de piqueurs de petits copains (j'adore cette expression). Ce qui est intéressant, comme je le disais tout à l'heure, c'est l'idée qu'il manque vraiment un moyen de parler d'intimité non sexuelle et de fidélité. Qu'est ce qui se passe si vous avez l'intimité sans la fidélité ? L'adultère, on dirait.

[Minx] Je pense que si cette relation avait continué, même sans sexe, ça aurait été tout aussi accablant. J'ai déjà vu l'inverse, les femmes ont tendance à parler du sexe : "Le salaud, il a couché avec une autre !" Pourtant pour beaucoup de femmes, ce ne sont pas les relations sexuelles le problème. C'est facile de se focaliser sur le sexe et de faire un scandale à cause de ça, mais tant de femmes ont expliqué : "C'est la trahison sur le plan émotionnel, c'est le mensonge le problème. C'est le fait de s'ouvrir à quelqu'un d'autre que moi et que je ne le sache pas, ce n'est pas le sexe." Donc une liaison émotionnelle sans relations sexuelles est plus accablante.

C'est une très bonne remarque, et je voudrais y revenir plus tard. Tromper quelqu'un n'est pas tromper parce qu'on couche avec quelqu'un d'autre, c'est tromper parce qu'il y a une promesse de ne pas coucher avec qui que ce soit d'autre, et que cette promesse est trahie. En fait, la monogamie et la fidélité sont d'abord une histoire de confiance, et pas forcément d'exclusivité.

[Karen] Tu as raison Minx, il y a bien un degré de fidélité émotionnelle dans un couple. C'est peut-être quand ça arrive qu'on peut commencer à dire qu'il s'agit d'une relation. Quand j'étais mariée, mon mari a eu une liaison émotionnelle avec une voisine, et à ce moment-là ce n'était pas sexuel du tout et je le savais. Mais je me suis retrouvé à chercher sur internet des sites sur l'adultère et ce genre de choses parce qu'il n'était pas franc du tout avec moi. Et je ne peux vraiment pas le lui reprocher parce qu'il n'était pas franc avec lui-même non plus. On a reparlé plus tard du fait qu'à l'époque il ne s'avouait même pas à lui-même qu'il était en train de tomber amoureux de cette femme et qu'ils avaient un lien émotionnel très fort.

Est-ce que ça vous rappelle quelque chose aussi, une relation très forte émotionnellement où les gens ne se rendent pas compte de ce qui se passe ? Cette histoire est l'exemple parfait de ce qui se passe quand vous avez une relation forte mais pas les mots pour en parler. Il a fallu qu'elle aille sur internet chercher les termes pour décrire cette relation, parce qu'il n'y a pas de mots existants pour une relation très forte sur le plan émotionnelle, sans sexe. Ce moment est vraiment percutant. Elle connaît l'existence de cette relation, son mari le sait, l'autre femme le sait, mais aucun d'entre eux ne sait comment en parler. C'est comme s'ils faisaient semblant qu'elle n'existe pas. Peut-être pas à ce point, mais aucun d'eux ne sait quoi en faire. J'ai déjà été dans cette situation, avec beaucoup de mes relations, et cette situation peut être très frustrante.

[Karen] Donc j'ai lu des choses sur l'adultère sur internet, et c'est là que je suis tombée sur les liaisons émotionnelles. C'est là que je lui en ai parlé : je lui ai montré le site et je lui ai dit "C'est ce qui est en train d'arriver."

[Minx] Je me demande quand même si, quand on n'est pas asexuel, le sentiment de trahison ne vient pas de la peur que ça devienne sexuel. Est-ce que ce serait différent si, parce qu'on se considère asexuel, on savait que ça ne deviendrait jamais sexuel ? Est-ce que cette peur disparaîtrait ?

[Karen] Je pense que cette peur disparaît s'il s'agit de deux asexuels ensemble, parce qu'ils ont établi cette définition, ils ont appris à voir les choses différemment. Mais si une personne est asexuelle et l'autre pas, ça ne marcherait probablement pas.

[Minx] Oh, je me demande si ça marcherait !

[GrayDancer] Dans un couple monogame, je ne pense pas que ça marche. Mais je ne vois pas comment ça marcherait de toute façon ...

Ils font une remarque très intéressante au milieu de tout ça, disant qu'une relation exclusive entre une personne sexuelle et une asexuelle est impossible parce que la première a besoin d'avoir des relations sexuelles, mais que ce serait possible dans une relation polyamoureuse. Et là, ces gens pourtant poly n'en discutent pas plus. J'aurais aimé qu'ils le fassent, ça aurait été très intéressant.

Mais revenons à ce que Karen a dit plus tôt. Elle a dit que deux asexuels peuvent être ensemble parce que nous avons une mentalité différente, c'est-à-dire qu'on a développé la capacité de réfléchir à la fidélité sans faire intervenir le sexe. Elle laisse donc entendre que les gens sexuels n'ont pas cette capacité. Je serais curieux de savoir si c'est vrai, et qu'est ce que ça implique si ce n'est pas vrai.

[GrayDancer] J'avoue que le concept même d'asexualité me fait peur, parce qu'une partie tellement importante de mon identité est liée à ma sexualité ...

Je trouve que cette peur est extrêmement importante. Je ne vais pas développer maintenant, j'en parlerai dans un autre épisode du podcast, mais c'est quelque chose qui a influencé l'évolution de l'identité asexuelle actuelle.

[GrayDancer] Perdre ces repères-là équivaudrait à me perdre moi-même. En même temps ça me rappelle une discussion qu'on a eu à propos du degré d'intimité de différents actes et de s'ils étaient sexuels. La différence entre nous deux, c'est que pour moi ligoter quelqu'un peut parfois être infiniment plus intime que de recevoir une fellation. C'est pour ça que quand il s'agit de donner des règles ou des limites dans une relation, interdire certaines relations sexuelles avec d'autres gens mais autoriser les cordes n'a pas de sens pour moi. L'idée n'est pas que certains actes sont mal, mais qu'un certain degré d'intimité est là. Là où je veux en venir, c'est que je comprends très bien comment même en étant asexuel on peut éprouver l'intimité, par exemple avec le contact improvisation* et la danse.

GrayDancer fait une remarque intéressante ici. Comme les polys ne prennent pas les mêmes définitions à l'emporte-pièce des relations et de la fidélité que les monogames (pour qui c'est plus simple), ils ont plus de marge de manoeuvre pour écrire leurs propres règles, donc quand lui et sa partenaire ont décidé d'écrire les règles délimitant leurs relations, celles-ci ont été un peu moins liées à la sexualité. Je vais couper l'interview ici. Ils continuent à parler de contact improvisation, puis passent au sujet suivant qui est le polyamour et la famille. C'est aussi en rapport avec ce dont on parle, mais je voudrais revenir sur les thèmes de tout ce qu'on a abordé.

On a commencé avec une réaction à mon dernier podcast, une personne disant qu'elle avait vraiment des difficultés à parler de fidélité dans une relation. Puis on a eu cette conversation, pour laquelle malheureusement je n'étais pas là, entre un groupe de polyamoureux qui parlent de l'intimité non sexuelle qui est très présente dans leurs relations et qu'ils ont du mal à appréhender, et du fait qu'ils ont des moyens d'intégrer des choses non sexuelles dans la définition de leur fidélité. Ils trouvent des mots pour parler de liaison émotionnelle, d'engagement sur le plan émotionnel et pas seulement sexuel, en disant par exemple "Ce qui définit une relation pour moi ce sont les émotions, c'est quelque chose qui n'est pas seulement le sexe", quoiqu'ils semblent avoir vraiment du mal à décrire ce quelque chose. C'est ce dont je vais parler dans la partie suivante.

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* NDLT : Le contact improvisation est une forme de danse.

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