13 juin 2010

Confessions d'un asexuel dévergondé - 1ère partie

Ce texte est une traduction de Confessions of an Asexual Slut, Part 1, publié par David Jay en juin 2006.

Je me suis rendu compte récemment que j'ai des tendances salopes. J'entends par là tout sauf le sens classique du mot "salope", ayant été littéralement (bien que pas pénétrativement) au lit au cours du dernier mois avec plus d'individus que je n'ai de doigts pour compter. Si, comme la communauté asexuelle a commencé à le suggérer, on peut être aussi intime sans sexe qu'avec, alors j'ai un sacré paquet de relations intimes.

Je suis sérieux.

Une des particularités de l'asexualité, j'ai découvert, est de rendre le fait de classer et de prioriser ses relations un petit peu difficile. Car bien que tous les gens sexuels ne les utilisent pas comme ça, les relations sexuelles peuvent servir de marqueur d'importance très net, en les gardant, pour le meilleur ou pour le pire, comme l'argenterie pour les occasions vraiment spéciales. On ne peut pas dire la même chose, par exemple, d'une conversation intellectuellement ou émotionnellement intense, ce qui serait bien plus ma tasse de thé. Je peux avoir une discussion passionnante à la moindre suggestion, et je serais capable d'être intime sur le plan intellectuel avec tout ce qui bouge.

Vous trouvez ça mal ?

Malgré toutes les règles assez dingues qu'on a pu édicter sur le sexe, il semble qu'il y en ait relativement peu sur l'intimité à proprement parler. Si quelqu'un qui m'intéresse a un petit copain, les règles pour passer du temps ensemble sont au pire vagues, et au mieux inexistantes. Il ou elle préfère les personnes de l'autre genre ? Pas de problème. Deux relations à la fois ? Il y aura toujours de la place. Même moi je suis étonné de ce que je peux faire sans causer de problème.

Ça n'a pourtant pas toujours été comme ça. Même moi j'ai été un jeune asexuel naïf et sans expérience, qui est un sort que je ne souhaiterais à personne. Tout ce qu'on apprend sur la sexualité nous dit que ce n'est PAS un comportement optionnel. En ce qui concerne notre bonheur futur, trouver un bon partenaire sexuel est en tête de liste, avec avoir un travail et être propriétaire. Et tout comme il est de notre devoir pour la patrie d'avoir des bonnes notes et de savoir quelles sortes de produits acheter, il faut entamer notre périple semé d'embûches vers la félicité sexuelle donnée par une relation de couple.

Ce n'est pas ce qu'on veut entendre quand le sexe semble aussi naturel et agréable que de remplir se déclaration d'impôts. Le message n'est pas réjouissant : sans sexe, les relations ne comptent pas. Peu importe qu'on soit un excellent ami, ou à quel point on est proche de quelqu'un, il arrivera un point où l'autre privilégiera son partenaire (sexuel) par rapport à nous. La passion, l'amour romantique et le fait de tomber amoureux sont des sentiments qui requerraient des relations sexuelles, ce qui veut dire que pour nous asexuels, ils seraient tout simplement impossibles. Tout ce qu'on pourrait être c'est amis, comme dans "juste amis". On aurait donc le choix entre se forcer à apprécier le sexe et laisser tomber tout espoir que notre vie affective devient intéressante.

Ça va sans dire que, étant émotionnellement frustré, j'étais très insatisfait de ces pronostics. Je ne savais pas précisément ce qu'était l'intimité non sexuelle et comment elle fonctionnait, mais je ne comptais pas rester là à attendre comme une princesse son prince charmant, que cette intimité arrive et m'invite à prendre un café. Rapidement, mes amitiés les plus proches ont commencé à ressembler à des relations romantiques, et il n'a pas fallu longtemps pour qu'elles sortent même de ce cadre et ressemblent à tout autre chose.
J'ai réalisé que les relations étaient quelque chose d'enrichissant et d'agréable, de la même façon que le sexe pour les gens sexuels. J'ai découvert une quantité innombrable de nouveaux types de plaisirs, et il me semblait que je n'aurais jamais le temps de les explorer tous : de l'intellectuel au physique, de celui qui nous apprend des choses sur nous-mêmes au totalement frivole. Ceux qui croient que le mot "plaisir" a une connotation sexuelle devraient sortir de chez eux plus souvent.

J'aimais m'amuser, et tant que j'avais un partenaire prêt à m'accompagner, je pouvais le faire comme je voulais, où et quand je voulais. Ma vie, contrairement à ce qu'on m'avait dit à l'école, était sans aucun doute devenue émotionnellement intéressante. Que faire de ma vie, c'était une autre question. Avec toutes ces sources de plaisir disponibles, de plus en plus de mes amitiés faisaient pression sur les limites du "juste amis", soulevant une foule de questions au passage.

Je connaissais parfaitement la charmante petite distinction entre les relations platoniques et romantiques, qui amusait tant les autres jeunes, mais je n'avais jamais été certain de quelle façon elle s'appliquait à moi. Avec autant de types de liens qui rendaient le dessin flou, je n'avais aucune idée comment tracer une ligne aussi nette. Est-ce qu'avoir une totale confiance en quelqu'un était plus important que de se voir et s'amuser tous les jours ? Devrais-je donner un statut plus élevé à la personne à qui je fais des câlins qu'à celle qui finit mes phrases ?

Finalement, le langage du monde sexuel était mal équipé pour décrire un agenda asexuel bien rempli, donc j'ai du commencer à créer le mien. Qu'est-ce que veut dire être "plus qu'amis", si ça n'inclut pas le sexe ? Pour moi, tout pouvait être ramené aux trois T :

  • le temps : Ouvrez votre dictionnaire, les mots "sortir avec quelqu'un" parlent de temps. La durée créé les relations, et les relations qui ont de l'importance sont celles auxquelles je consacre du temps. Pour moi, sortir avec quelqu'un signifie qu'on joue un rôle significatif dans la vie quotidienne de l'autre, et inversement.
  • le toucher : Mis à part le sexe, deux personnes peuvent tirer beaucoup de plaisir de leurs corps. Câlins, danse, basket, bataille de polochons ; la majorité de mes relations les plus proches comprennent une forme d'affection physique ou une autre, qui peut aussi demander de se dépenser.
  • la parole* : Si je veux vraiment qu'une relation sorte des sentiers battus, je vais parler du fait qu'elle existe. Je vais dire à la personne ce que je ressens pour elle, je vais parler de ce que je voudrais retirer de cette relation, et je la laisserai faire de même.

Quand je sors avec quelqu'un qui m'intéresse, ce sont les trois choses auxquelles je pense. C'est ce que je raconte à mes amis, et comment je vois la progression de mes relations : mes propres réponses asexuelles au système de base.

Ceux qui font attention noteront que dans ce contexte, la monogamie est un concept quelque peu flou. Il est assez difficile d'être sexuellement exclusif quand on n'a de relations sexuelles avec personne. Marie-couche-toi-là que je suis, j'ai tendance à préférer les liens avec des communautés plutôt qu'avec des individus, ne laissant jamais une relation éclipser tout le reste de ma vie. Je me retrouve à penser non en terme de petits copains ou petites copines mais en terme de réseaux, de communautés entières avec lesquelles j'ai une relation intime d'une façon ou d'une autre. Pourquoi ne s'accrocher qu'à un fil quand je peux m'installer dans une toile de relations renforcée par quelques fils particulièrement solides ? J'ai bien l'intention d'élever des enfants, pourquoi ne pas leur construire un village ?

Le bon sens nous dira que rien de tout ça ne marchera. Les gens que je vois pourraient tous me laisser tomber pour quelqu'un avec qui ils peuvent coucher, mes réseaux sociaux pourtant solides se désagrègeront en petits enclos de monogamie, accessibles seulement de façon fugace. Mais le bon sens a déjà eu tort. Au fur et à mesure que dans mes relations on parle de nos émotions, puis d'engagement, et que mes amis commencent à se marier sans disparaître de ma vie, la probabilité que je finisse tout seul semble de plus en plus mince. Étonnamment , mes amis sexuels sont tout à fait à l'aise avec le fait de redéfinir l'intimité (et en sont même un peu libérés). Même s'ils éprouvront certainement de la frustration sexuelle à un moment ou à un autre, ils n'ont pas de raison de la diriger vers moi. En fait, quand tout le reste marche, le sexe n'est pas si important que ça.

L'amour est une chose curieuse. Dans un mode où les relations sexuelles sont saturées d'attentes, de règles, de scripts prédéfinis et de significations imbriquées, un asexuel pratiquant l'intimité comme moi se trouve face à une immense étendue de territoire inexploré. Si vous êtes intéressé, on peut aller chez moi prendre un café et en discuter. www.asexuality.org/fr/

Passez-moi un coup de fil.

2e partie
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* "Talk" en anglais

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