17 mars 2012

Guide de l'asexualité pour les féministes pro-sexe

Ceci est une traduction de An Asexual Map for Sex-Positive Feminism, posté par Kaz sur le site Feministe en février 2012. L'article propose pas mal de liens, tous en anglais évidemment, mais je trouve que le texte a suffisamment d'intérêt en lui-même, même si on ne suit pas les liens.


Au point où en sont les choses, beaucoup d'asexuels qualifient le mouvement pro-sexe de malsain pour eux. C'est un problème qui doit être abordé par la communauté.

Une stratégie pour contribuer à changer cela est de parler davantage des préoccupations des asexuels, et plus généralement de ce qui concerne les gens qui ont peu de désir sexuel. Il est évident que beaucoup ne se sentent pas les bienvenus dans un mouvement qui s'occupe rarement de leurs problèmes, et où il est fréquent que les gens ne connaissent même pas les informations essentielles sur l'asexualité, comme le vocabulaire, les définitions et les problèmes courants. Cela servirait aussi à rendre visible les attitudes sexuellement normatives et anti-asexuel de la communauté féministe. Par exemple, quand on discute d'asexualité en public, les détournements prétendant s'inquiéter de la santé des asexuels sont nombreux, et vont jusqu'au rejet pur et simple de l'asexualité. La diabolisation des asexuels qui sont en couple est fréquente aussi. J'imagine qu'une personne pro-sexe qui voudrait combattre ces idées à la racine ne saurait pas où les trouver, alors que pour une personne asexuelle c'est souvent comme traverser un champ de mine.

Cela dit, j'imagine bien que "parler plus de l'asexualité et de nos problèmes" ne renseigne pas beaucoup quelqu'un qui n'aurait aucune idée ni de quoi on discute, ni de où se renseigner.

Donc, si vous êtes intéressé, je vous fais une petite introduction à l'asexualité en ligne : des liens vers des blogs, des explications sur les problèmes courants, et nos sujets de discussion. Je pense qu'il y a des sujets qui ont de l'intérêt pour d'autres gens que seulement les asexuels, et certains qui profiteraient réellement aux gens sexuels aussi. Pour être honnête, en général je trouve que tout mouvement qui prétend défendre les libertés sexuelles et qui s'occupe presque exclusivement des problèmes des gens dont le désir sexuel est dans la moyenne ou au dessus va passer à côté de questions primordiales, et que ça a de fortes chances de finir avec de nouvelles normes et obligations sexuelles. Je pense que le mouvement pro-sexe a besoin de l'asexualité, a besoin de réfléchir à ce côté des choses et aux problèmes auxquels les gens sont confrontés ici. Mais même si vous n'êtes pas d'accord, j'espère que certains des articles et des discussions vous seront utiles.

Blogs asexuels

Writing from Factor X, de Sciatrix. Elle est un peu moins active maintenant, mais elle faisait des listes de lecture hebdomadaires, et il y a une bonne liste de blogs.1

Asexual Curiosities, de SlightlyMetaphysical

Asexy Beast, d'Ily

Shades of Gray, d'Elizabeth

Charlie the Unicorn, de Charles

Hypomnemata, de Minerva

Confessions of an Ist, de Aydan

Love from the Asexual Underground, de David Jay. DJ est grosso modo le visage de l'asexualité, puisqu'il est le fondateur d'AVEN, la principale communauté. Son blog a peu d'activité, mais il a écrit des choses remarquables.2

Verbs not Nouns. Celui-ci est axé en particulier sur l'asexualité et le BDSM.

C'est juste un aperçu ; vous trouverez beaucoup d'autres blogs à partir de ceux-là (la liste de blogs chez Sciatrix est longue et à jour). Il y a aussi un festival de blogs asexuels, dont le post organisateur est chez Writing from Factor X.

En plus, vous croiserez probablement des mots que vous ne connaissez pas. La communauté asexuelle a un florilège de vocabulaire, et utilise d'autres termes (par exemple "libido") dans des sens très spécifiques. Charles a un bon glossaire, et il y a le wiki d'AVEN. (AVEN est souvent ce qui sera conseillé en premier pour avoir des infos sur l'asexualité. Le site principal a de bonnes informations, même si elles sont quelque peu dépassées, mais les forums ont des problèmes et je ne les recommande pas.)

Questions d'intérêt

Les définitions exploitables du consentement pour la communauté asexuelle. C'est plutôt compliqué. D'un côté, il y a bien des asexuels qui ont des relations sexuelles, qui peuvent prendre du plaisir au sexe, ou que ça ne gêne vraiment pas, ou qui le font pour faire plaisir à leur partenaire ou pour n'importe quelle autre raison, et la plupart d'entre eux ne rempliraient pas le critère du consentement enthousiaste3, mais seraient assez irrités d'apprendre qu'ils sont incapables de donner leur consentement. Mais d'un autre côté, ça rejoint ...

... Le problème du compromis. Les asexuels sont très exposés à un certain type de culture du viol, selon lequel dans un couple, le sexe est un dû à son partenaire, parce que refuser d'avoir des relations sexuelles est mal, injuste et cruel. Et dans les communautés asexuelles, on parle beaucoup de compromis : en gros, coucher avec son partenaire même si on n'en a pas le désir intrinsèque nous-mêmes. Comme vous pouvez l'imaginez, ça peut mal tourner. C'est encore une discussion que beaucoup de milieux pro-sexe ne gèrent pas très bien, parce que dans cette situation il y a souvent très peu d'empathie pour le partenaire asexuel (ou dans le même genre, pour le partenaire qui a moins de désir sexuel). En fait, ils sont même souvent diabolisés quand le sujet vient sur la table. Il y a aussi très peu d'empathie pour le fait que pour les asexuels, cela rejoint ...

... Le problème du nombre. Beaucoup d'asexuels sont romantiques (généralement avec un préfixe d'orientation : hétéroromantique, homoromantique, biromantique) et tombent quand même amoureux et ont envie d'être en couple. Ils éprouvent de l'attirance romantique mais pas sexuelle. Sortir uniquement avec d'autres asexuels est le plus souvent très irréaliste : c'est une orientation rare, très peu visible, et très variée. Pour une femme homoromantique, les candidats sont les femmes asexuelles homoromantiques ou biromantiques, approximativement 0,1% de la population, sans même prendre en compte le peu de visibilité de l'asexualité. J'ai rencontré en vrai un total de un autre asexuel, sans prendre l'avion spécialement pour les voir. Sortir avec des gens hors de la communauté asexuelle est généralement la seule option, ce qui veut dire que la question du sexe doit être abordée.

Aussi en lien avec le nombre : certaines personnes sont aromantiques, c'est-à-dire qu'ils n'éprouvent pas d'attirance romantique. Et d'autres, comme moi, se disent "attendez une seconde, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'«attirance romantique», et où est-ce que vous mettez la limite entre ça et les relations platoniques ? Je ne comprends pas ! Comment faites-vous la différence entre l'amour romantique et l'amour pour un ami ? ..."

Récemment, on s'est mis à appeler ça cqcb-romantique4 (même si j'aime bien appeler ça "l'orientation romantique de la division par le concombre" et que d'autres gens ont sûrement leurs termes préférés), pour dire que ça n'a aucun sens, qu'on ne comprend même pas la question. Ce qui occupe pas mal nos échanges, c'est des choses comme les relations qui ne rentrent pas dans l'opposition amour/amitié, la fidélité émotionnelle, la vie en commun et l'intimité hors des relations amoureuses, etc. Il y a des recoupements intéressants à faire avec le polyamour.

(Quelques termes spécifiques que vous pourriez rencontrer sur le sujet : "queerplatonique" désigne un lien ou une relation émotionnelle forte qui ne soit pas amoureuse, une "courgette" est un partenaire queerplatonique, et il y a divers jeux de mots sur les légumes basés là-dessus, de "potiron", la personne pour qui on a un faible queerplatoniquement, à "courgeter", flirter queerplatoniquement.)

Il y a aussi des échanges à propos du mouvement pro-sexe. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est qu'il y a souvent une pression exercée sur les asexuels pour qu'ils se déclarent pro-sexe et se comportent d'une manière "pro-sexe" pour prouver qu'ils ne croient pas les sexuels moralement inférieurs et ne sont pas anti-sexe. (Notre identité est fréquemment interprétée comme intrinsèquement anti-sexe, et/ou comme un jugement sur les autres, même quand il est dit explicitement que ça décrit des sensations personnelles, et pas un comportement. Cela arrive particulièrement souvent aux demisexuels5.)

Je ne suis pas pro-sexe. C'est principalement parce qu'on m'a fait sentir que je n'étais pas la bienvenue parmi les féministes pro-sexe, mais c'est aussi partiellement en réaction contre cela. J'en ai marre d'avoir l'impression que ne pas se faire le porte-parole des merveilles du sexe (pour les sexuels) veut dire que je suis anti-sexe et que je donne une mauvaise image de l'asexualité. J'en ai marre qu'on dise aux asexuels qu'ils ne devraient pas parler de leurs propres expériences négatives avec le sexe sous prétexte qu'il faut impérativement être pro-sexe.

Ceci dit, ces deux dernières années, j'ai vu davantage de gens hors de la communauté asexuelle qui cherchaient activement à engager la discussion d'une manière constructive sur les problèmes asexuels. J'ai beaucoup d'espoir que cette tendance continue !

Bons exemples d'articles par des alliés

Mary Maxfield Brave parle de son expérience dans les milieux asexuels, et de ce que les sexuels peuvent apprendre des communautés asexuelles.

Heather Corinna du site d'éducation sexuelle Scarleteen demande des idées pour inclure l'asexualité dans l'éducation sexuelle.

Chally parle de l'asexualité sur Feministe.

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1 Un article de Sciatrix en français
Les articles traduits de Love from the Asexual Underground
3 Le consentement enthousiaste est un modèle proposé par la communauté pro-sexe selon lequel on ne peut consentir à des relations sexuelles qu'avec enthousiasme (qu'il soit verbal ou non). L'intérêt de cette définition est de montrer que la simple absence de "non" n'est pas un consentement valide, pour mieux combattre le viol. Par contre elle pose problème car il serait impossible pour les prostitués, les asexuels, ou même des gens essayant de concevoir un enfant pendant l'ovulation par exemple, de consentir.
4 cqcb-romantique : cestquoicebordel-romantique. (whatthefuck-romantic en anglais)
5 Les demisexuels n'éprouvent pas d'attirance sexuelle, sauf s'ils développent un lien émotionnel fort avec quelqu'un.

3 commentaires:

  1. Trop bien, j'avais pas vu. Tu dis rien à personne aussi !

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  2. La nécessité de devoir se définir comme "pro-sexe" ou "anti-sexe" montre bien que même lorsque l'on tente de se définir en dehors de la norme, on y fait référence. Il est important d'en prendre conscience si on ne veut pas se prendre les pieds dans le tapis et se faire des noeuds à la tête.
    Cela est une des conséquence de l'intériorisation de la norme qui au sein d'une espèce sexuée est d'être sexuelle. L'intériorisation est un processus normal dans l'espèce humaine bien que l'autisme témoigne du fait que ce processus peut-être atténué ou moins opérationnel. Les autistes apportent une richesse à l'espèce humaine comme toute diversité.

    Ne peut-on pas simplement être neutre au sujet du sexe et de la sexualité ?
    La neutralité par rapport à la pratique de la sexualité qui est une réalité quand on lit et entend certains témoignages de femmes notamment, pourrait s'avérer plus pertinente pour définir l'asexualité que l'absence de désir sexuel puisque ce n'est manifestement pas le cas pour la plupart des asexuels.

    La référence au désir dans la définition de l'asexualité pose déjà bien des problèmes de cohérence interne.
    Si pour avoir une audience auprès de la norme sexuelle "pro-sexe" actuelle, les asexuels se voient plus ou moins contraints de se déclarer "pro-sexe" quitte à donner une tribune à la pornographie dans la communauté asexuelle comme c'est déjà le cas, il me semble qu'il y a un problème de cohérence interne à la base.
    Sans cohérence interne dans la définition de l'asexualité qui vous rassemble, vous avez peu de chance d'être pris au sérieux par les sexuels.
    Tout cela parait bien confus ...

    Qu'est-ce que la pornographie ? La représentation visuelle répétitive stéréotypée et donc normative d'une pratique sexuelle.
    C'est quand-même le comble au sein de la communauté asexuelle dont les fondamentaux sont "ne pas avoir désir sexuel pour qui que ce soit" et la distinction avec l'abstinence qui est un choix.
    Si l'on prend cette définition de l'asexualité, il parait difficile de dire dans le même temps que l'asexualité peut inclure la consommation de pornographie et/ou de la masturbation sans postuler une perturbation des mécanismes du désir. L'asexualité pourrait être le choix de ne pas explorer les mécanismes de son propre désir dans le champ de la sexualité.
    Mais pour le coup cela dit quelque chose de fort de la perturbation des mécanismes du désir qui semble concerner 99,99% de la population humaine toutes orientations sexuelles confondues. Là encore il est intéressant de réfléchir aux moteurs de cette perturbation. Une piste : Bernard Stiegler sur l'exploitation de la pulsion dans la société de consommation.

    J'ajoute que la perturbation, le détournement, l'hypo-xxxx ou l'hyper-xxx d'un processus ou d'une caractéristique dit "normal" ne devrait pas être l'occasion de juger qui que ce soit.
    C'est peut-être cela qu'il faudrait défendre comme idée et comme valeur.



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  3. Votre article a l'air très intéressant, mais je bloque sur un terme pour être à même de le comprendre totalement...
    Qu'est ce que c'est pour vous qu'être "pro-sexe" et par extension qu'appelez-vous "féministe pro-sexe" ?

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