7 nov. 2010

Confessions d'un asexuel dévergondé - 3ème partie

Ce texte est une traduction de Confessions of an Asexual Slut, Part 3: Doin'It, publié par David Jay en janvier 2007.


Je fonde mon intimité sur mes communautés. Ça signifie que ce que la plupart des gens font dans leur relation avec leur petit(e) ami(e), leur mari ou leur femme, je le fais dans ma relation avec ma communauté toute entière. Comme je suis asexuel, je ne pourrais pas sortir avec quelqu'un au sens strict même si je voulais. Et pendant longtemps c'était vraiment déroutant, parce que si je ne sortais avec personne, je n'avais aucun moyen de savoir de qui j'étais censé être amoureux et qui étaient simplement mes amis. Sans des cases comme ça où mettre leurs relations avec les autres, beaucoup de gens se sentent seuls et isolés. C'est pour cette raison que les gens qui ne peuvent pas être avec quelqu'un au sens traditionnel, comme les asexuels, cherchent des façons moins traditionnelles de voir les relations. Celles-ci vont de sortir avec quelqu'un sans avoir de relations sexuelles à redéfinir radicalement la façon dont on décrit et catégorise les relations, en passant par le mélange d'éléments tirés des relations amoureuses traditionnelles et des relations d'amitié classiques. L'intimité fondée sur les communautés est un système pour voir les relations qui soutient qu'on ne peut pas attribuer d'importance particulière à un(e) petit(e) ami(e), ni même à un petit noyau de partenaires. L'idée centrale est qu'il faut voir chaque relation de la même façon que les autres, parce que toutes les relations ont leur importance. Voici un aperçu de la manière dont ça se présente pour moi actuellement.

J'ai trois relations principales, une douzaine de relations secondaires, et encore environ une centaine de personnes avec qui je suis en contact. Une de ces relations principales est avec une personne, et les deux autres sont avec des groupes, ce qui veut dire que j'ai environ neuf personnes au total qui constituent collectivement ce qui serait pour la plupart des gens un(e) petit(e) ami(e). Ça a ses avantages et ses inconvénients. C'est relativement stable et il y a beaucoup de variété, mais l'emploi du temps peut devenir un cauchemar. J'y reviendrai plus tard.

Je commence par ma relation principale la plus traditionnelle, avec mon amie Karuna. Karuna et moi avons toujours eu un lien très fort et créatif. On est tous les deux des gens assez publics, et notre relation est construite autour du soutien que l'on s'apporte quand l'un de nous doit prendre des risques. On chante du karaoké, on improvise des chorées compliquées sur la piste de danse, et on passe des heures à siroter du thé en réfléchissant à nos vies. Quand on se voit, il y a toujours cette énergie de création et de soutien entre nous, sur laquelle j'ai appris à compter. C'est en partie grâce à elle que je ne stresse plus à l'idée de passer à la télévision.

On se voit une fois par semaine ou plus, généralement pour faire des choses qui impliquent pas mal de rires et d'expression en public. On partage de la tendresse et on a l'intention de continuer à être là l'un pour l'autre, au moins pour le moment. Karuna a aussi un petit ami, et on voit bien que sa relation avec lui et sa relation avec moi sont complémentaires. Je commence à devenir ami avec lui aussi.

Ma relation principale suivante est avec On Your Left, un groupe activiste qui aime raconter des potins, danser, partir dans des aventures sophistiquées et faire des remous. Comme ma relation est avec trois personnes et non une seule, elle est plus fiable (puisqu'il est presque sûr qu'au moins un membre du groupe sera là), mais c'est plus difficile de ressentir le type de connexion émotionnelle intense qu'on peut avoir dans une relation à deux. Ce n'est pas un problème ; le soutien, le confort et la réflexion sont ce que je retire de ma relation avec Karuna. Ma relation avec On Your Left est le lieu où repousser les limites et enfreindre les lois, même si on n'enfreint vraiment la loi qu'au service de la justice sociale. On se voit une fois par semaine pour faire vingt kilomètres en vélo et rollers dans San Francisco. On passe la première moitié de la randonnée à discuter des questions politiques de San Francisco et du monde entier, et la deuxième moitié à papoter sur nos vies amoureuses. On se retrouve aussi le week-end pour manger et aller danser, et nos racines activistes font de nous un foyer pour mener des actions politiques. Il y a quelques heures, on s'est tous réuni pour s'opposer à une campagne de communication de plusieurs millions de dollars, avec des résultats assez remarquables.

Donc voilà, j'ai un endroit où je suis à l'abri et un endroit où m'exciter, la seule chose qui manque est un endroit où être à l'aise. C'est bien beau l'intensité, mais d'après mon expérience, le plus difficile dans une relation est d'être à l'aise ensemble sans rien faire de spécial. La Hutte à pizzas, un groupe vaguement constitué de mes colocataires et de leurs amis les plus proches, est ma famille et mes attaches ici à San Francisco. Depuis un an et demi que je vis ici, on a tissé des liens fabuleux, et je sais que quoi qu'il arrive, j'aurai un endroit où je pourrai me détendre, dire des bêtises et laisser tout le reste s'effacer.

Ça s'appelle La hutte à pizzas parce que quand j'ai emménagé, quelqu'un a fait la remarque qu'avec trois garçons célibataires dans un appartement, tout ce qu'il y aurait dans notre frigo serait des pizzas surgelées et de la bière. On est du genre à faire tous nos légumes en beignets et à regarder Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy. En fait, on fait exactement ça au moins une fois toutes les six semaines. On s'amuse beaucoup à décorer le salon (des pirates), la cuisine (des images de porc et de produits dérivés) et la salle de bain (des acteurs célèbres dans une baignoire ou dans des positions sexuelles inconfortables). On fait à manger ensemble, on part en week-end, et on ne compte plus les traditions qu'on a accumulées.

Ces trois relations sont au coeur de ma vie. Je fais quelque chose avec chaque personne ou groupe une fois par semaine sinon plus, et à elles trois elles me donnent une bonne partie des expériences que je veux dans ma vie, que ce soit danser, me battre pour les idées auxquelles je crois, ou cuisiner des plats raffinés. Pour le reste, il y a mes relations secondaires, des amis que je vois moins souvent ou qui sont loin, qui remplissent le reste de ma vie et de mon calendrier. Ce sont des gens ou des groupes de gens que je vois une ou deux fois par mois. Ces relations peuvent être aussi diverses que les services d'un professionnel, des artistes du spectacle ou de nouvelles relations prometteuses qui rivalisent pour le statut de principale.

Faites le calcul : si je travaille à temps plein, consacre une soirée par semaine à chacune de mes trois relations principales et une soirée toutes les deux à quatre semaines à mes relations secondaires, discute de temps en temps avec la centaine de personnes flottant dans les limbes des relations, dédie de dix à vingt heures par semaine à AVEN, et me laisse du temps pour faire des rencontres, il faut vraiment que j'enchaîne. C'est un peu écrasant par moment. Il y a assurément des inconvénients, comparé aux autres façons, traditionnellement amoureuses, de vivre ses relations. Se tenir au courant de ce qui se passe est plus dur, et même s'il y a beaucoup moins en jeu dans chaque relation, il est à peu près garanti qu'à tout moment il y aura des histoires quelque part dans le réseau social. Pour le meilleur comme pour le pire, on ne ressent pas le genre de sentiment intense qu'ont les gens qui se concentrent sur un partenaire. Je ne tombe pas amoureux comme certains de mes amis, parce que tomber amoureux signifie que pendant un instant vous avez une personne qui est tout pour vous.

D'un autre côté, il se passe généralement beaucoup plus de choses dans une communauté que tout ce qui pourrait arriver avec une seule personne. Une communauté toute entière ne laissera pas une note rageuse avant de claquer la porte. Si une relation s'éteint, il y en a toujours d'autres pour équilibrer. Comme j'ai de nombreuses relations sur lesquelles je peux compter, il est rare que je ne puisse pas avoir le soutien dont j'ai besoin, et comme les choses sont toujours en mouvement, je ne m'ennuie jamais et je ne me sens pas coincé.

Mais franchement, détails pratiques mis à part, le pouvoir est le plus excitant. Chaque fois que VolunteerMatch* cherche à embaucher, les gens de mon bureau me donnent un tas de CV d'amis et de connaissances, et j'en fais suivre cinq ou six. A chaque élection, je peux valoir de cent à mille voix pour un candidat ou pour le camp que je choisis, dès que ma communauté est mobilisée pour aller battre le pavé. On peut faire beaucoup en couple, mais la capacité incomparable qu'a une communauté de s'unir pour changer le monde autour d'elle rend les possibilités que j'ai avec les miennes virtuellement infinies. Donc si l'un d'entre vous concentre tous ses espoirs et ses rêves sur cette personne spéciale, prenez le temps de réfléchir à ce qui pourrait arriver si vous multipliez vos amours.

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* NDLT : David travaillait à VolunteerMatch quand l'article a été écrit.

1 commentaire:

  1. "Je ne tombe pas amoureux comme certains de mes amis, parce que tomber amoureux signifie que pendant un instant vous avez une personne qui est tout pour vous."

    N'y a-t-il pas là un élément de définition de ce qu'est l'attirance romantique ? ;-)

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