19 févr. 2012

Appartenir à un pourcent de la population

Ce texte est une traduction de Life Among The One Percent, publié par s.e. smith sur le site Tiger Beatdown en avril 2011.


C'est un peu difficile de déterminer quel pourcentage de la population est asexuel, car on a tendance a être un groupe sous-étudié. Nous sommes partout, mais en grande partie invisibles, rajoutés après coup aux acronymes à la mode, mais sans qu'on s'adresse réellement à nous, sauf en de rares occasions. Une étude relativement récente a estimé notre nombre à environ un pourcent de la population générale.

Beaucoup de gens ne sont pas très curieux de ce qu'est la vie parmi ces un pourcent. En fait, beaucoup ont une compréhension imparfaite de ce que veut dire l'asexualité, et soit ont peur de demander soit ils s'en fichent. Malgré les efforts pour augmenter la visibilité de l'asexualité, la communauté asexuelle se trouve vraiment à l'écart des autres communautés qui participent à la justice sociale* et au militantisme. Beaucoup d'entre nous qui sont asexuels ont tendance à ne pas s'occuper de cet aspect-là de leur identité quand ils participent à la justice sociale. A chaque fois que je parle d'asexualité, des asexuels apparaissent, ce qui me rappelle combien on est, ici, et combien on est silencieux à notre sujet.

Ce qui mène à un certain nombre de séparations artificielles et à un manque de compréhension quand il s'agit de rapprocher les sexuels et les asexuels, un problème particulièrement important pour ceux qui se préoccupent de sujets tels que les carrefours entre la sexualité, les droits en matière de reproduction, et la justice sociale. Et c'est de ça que parle l'article d'aujourd'hui : un aperçu de ce qu'est l'asexualité et des sujets auxquels elle touche, dans l'espoir que ça pique votre intérêt et vous donne envie de rechercher plus d'informations. Un rappel que les asexuels sont tout autour de vous, et que vous devriez pensez à nous quand vous envisagez les thèmes de la sexualité, de l'orientation, et de l'identité.

L'asexualité est souvent définie comme l'absence d'attirance sexuelle. Définir quelque chose par ce que ce n'est pas est intrinsèquement non idéal, mais au moins c'est un bon début de définition. De façon générale, les asexuels n'éprouvent pas d'attirance sexuelle. Ceci nous différencie des gens qui choisissent l'abstinence pour des raisons religieuses, culturelles, personnelles ou autres. Les abstinents éprouvent bien de l'attirance sexuelle, même si ça peut aller et venir avec le temps. Nous non, même si c'est aussi quelque chose qui peut varier.

Certains asexuels aiment bien dire que les gens devraient utiliser cette identité tant qu'elle leur est utile, et l'abandonner quand elle ne l'est plus. Beaucoup de sexuels trouvent déroutant cette fluidité et cette souplesse autour des identités asexuelles, surtout dans les milieux où les identités sont vues comme figées. L'idée que les asexuels peuvent se déclarer ainsi sur la base d'une définition personnelle du mot, plutôt que sur celle imposée par la société, est aussi inconcevable pour certains. Nous, on discute de la nature de l'identité asexuelle, et de ce qui en fait partie ou pas, en essayant d'éviter de créer des tests définitifs qui excluent des gens.

L'asexualité n'est pas une pathologie ; ce n'est pas le résultat d'un traumatisme, ce n'est pas la conséquence de la peur ou de la haine du sexe, ce n'est pas le résultat de médicaments affaiblissant la libido. Les asexuels peuvent très bien connaître tout ça, mais il n'y a pas de cause à effet. Leur entrecroisement peut jouer un rôle complexe dans une identité asexuelle, mais ce n'en sera pas la seule facette.

En parlant d'entrecroisements, si un pour cent est une statistique correcte pour la population générale, il y a des communautés qui semblent avoir un taux d'asexuels plus élevé. Autour de quatre pour cent de la communauté transgenre se déclare asexuel, et je sais que je ne suis pas la seule personne asexuelle et transgenre à m'exprimer sur la justice sociale en ce moment. Comme l'a récemment démontré la diversité des participations au festival asexuel et du spectre autistique (Spectral Amoebas Blog Carnival), il y a beaucoup d'intersections entre l'asexualité et le handicap. Kaz étudie certaines intersections entre l'asexualité et le handicap, et les problèmes des préjugés courants sur chacun des deux, plus en détail ici, et je recommande vivement de lire ce post si vous voulez plus d'informations**.

On est beaucoup à penser que l'asexualité est une orientation sexuelle à part entière, et c'est important d'être conscient que c'est une orientation très variée. Être asexuel est aussi varié qu'être lesbienne ou hétérosexuel ; le terme peut recouvrir de nombreuses dimensions de l'identité. Certains asexuels s'intéressent beaucoup au sexe, et vont regarder des films pornographiques, écrire des nouvelles érotiques ou discuter de pornographie. Cet intérêt pour l'expression de la sexualité peut avoir différentes explications, selon la personne. Beaucoup d'entre nous s'intéressent au sexe sur un plan culturel si ce n'est sur un plan personnel, ou retirent du plaisir de genres spécifiques de littérature érotique et de porno (tout comme certains asexuels se masturbent). D'autres aiment le fait de créer quelque chose d'érotique pour un partenaire ou pour d'autres ; certains asexuels lisent et écrivent des fanfictions érotiques, par exemple. L'absence d'attirance sexuelle n'équivaut pas nécessairement à ne pas s'intéresser au sexe en tant que phénomène culturel et social. Comme un sexologue asexuel peut en témoigner, on peut s'intéresser au sexe au point d'en faire une carrière professionnelle ! Certains d'entre nous ont aussi des relations sexuelles, pour des raisons différentes ; l'asexualité ne veut pas dire qu'on n'a jamais de relations sexuelles, et ceux qui en ont ne deviennent pas des asexuels de seconde catégorie.

Certains asexuels s'orientent sur un continuum allant du romantisme à l'aromantisme, qui décrit la nature des attirances qu'ils ressentent. Être asexuel ne signifie pas qu'on n'est pas attiré par des gens, mais seulement que cette attirance n'est pas sexuelle. Ça ne veut pas dire non plus que la nature de cette attirance est intrinsèquement plus faible parce qu'il n'est pas question de sexe.

Certains asexuel sortent avec quelqu'un ou sont mariés, ou peuvent avoir des relations polyamoureuses avec des gens qui ont des degrés d'attirance différents les uns pour les autres. On peut être asexuel et queer, comme je le suis, asexuel et très amoureux de quelqu'un, comme le sont d'autres personnes. Beaucoup de gens paraissent surpris quand on parle de ces aspects de la vie parmi ces un pourcent, tout comme ils sont surpris d'apprendre que certains asexuels ont des pratiques BDSM, que d'autres peuvent aller dans des sex-clubs, à des évènements pour les fétichistes du cuir, ou travaillent dans un sex-shop.

La communauté asexuelle est vivante et complexe. On développe un langage commun pour compenser les manques de nos langues maternelles quand on veut décrire des aspects de l'asexualité et de nos vies, par exemple pour discuter du fait que le terme même d'asexuel est souvent employé abusivement pour décrire les gens qui n'ont pas de relations sexuelles, quelle qu'en soit la raison, ou pour se moquer de quelqu'un qui a refusé vos avances.

Parfois le jargon peut être déroutant et peu accueillant. Tout comme les gens qui entrent pour la première fois dans un lieu dédié au féminisme et à la justice sociale se trouvent perdus devant les mots inconnus, ou les mots connus utilisés différemment, les gens qui découvrent l'asexualité rencontrent souvent des choses déconcertantes, alors qu'on essaie de définir nos identités et de nous creuser une niche dans une société qui juge que les relations sexuelles ont plus de valeur que les autres, dévalorisant au passage les gens qui n'en ont pas.

Prenons rien qu'un exemple de la nécessité de la visibilité asexuelle et d'une plus grande inclusion des asexuels dans les discussions en cours dans les communautés féministes et de justice sociale. Inclure l'asexualité dans les discussions sur la sexualité est crucial. Les asexuels sont mal compris par les personnes sexuelles, et peuvent devenir la cible de harcèlements, surtout s'ils font partie d'autres minorités, comme les handicapés. Certaines personnes pensent que les asexuels ont besoin d'être "corrigés" afin d'être "guéris", et les asexuels peuvent subir d'énormes pressions les poussant à avoir des relations sexuelles, conduisant parfois à des viols et des agressions sexuelles. Il est possible que si notre langage pour décrire ces expériences est imparfait, c'est parce que les gens qui discutent de viol et d'agression sexuelle se concentrent sur les personnes sexuelles et ne réfléchissent pas à ce que peut ressentir un asexuel dans ces situations.

Il est crucial que l'asexualité ne soit pas inclue juste pour la forme, et de s'informer réellement à ce sujet, en parlant avec les asexuels, en lisant les documents qu'on créé pour nous-même, en nous incluant dans les discussions pour profiter de l'expérience qu'on peut apporter. Alors que des marches Take Back The Night*** ont lieu un peu partout dans le monde ce mois-ci, alors qu'avril est le mois de l'éducation sur les violences sexuelles, alors que je vois les journaux parler de la conférence End Violence Against Women (Stop à la violence contre les femmes) à Chicago, l'asexualité me préoccupe beaucoup. Pour pouvoir reprocher aux organisations de ne pas inclure l'asexualité, il faut déjà que l'asexualité soit connue.

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* La justice sociale vise à l'égalité des droits et à la solidarité collective.
** Le lien est mort, je sais. Mais la page est encore dans le cache de Google.
*** Take Back The Night est une manifestation contre le viol et les violences sexuelles.

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